Mirobolant Joan Miro

[10/05/2016]

 

Joan Miro est l’un des artistes les plus recherchés et les plus cotés du marché, la vente de ses œuvres ayant dégagé quelques 145,5 m$ l’année dernière. C’est mieux que Van Gogh, Alexander Calder ou Jean-Michel Basquiat sur la même période.

Miró naît en 1893 à Barcelone. Le jeune homme, peu doué en dessin mais prédisposé au rêve, entre à l’académie libre fondée par Gali en 1912. Il découvre Van Gogh, les fauves et les cubistes et produit ses premières œuvres originales à partir de 1915, entre le schématisme cubiste et l’éclat coloré du fauvisme. Il s’installe à Paris en 1920, côtoie alors André Masson et Pablo Picasso, les poètes Pierre Reverdy, Tristan Tzara, Max Jacob, et assiste aux manifestations dada. Joan MIRO est un surréaliste avant l’heure, se laissant guider par l’automatisme si cher à André Breton. Il cherche le sujet de sa peinture à l’intérieur de lui plutôt qu’à l’extérieur, accompagné d’un langage poétique et plastique dessiné en formes simples, souples, géométriques, en éclaboussures et hiéroglyphes joyeux, en couleurs franches et vives. Sa quête du merveilleux est traversée par les thèmes récurrents des constellations, des femmes et des oiseaux. Sous l’apparente simplicité de l’oeuvre, il est une ascèse : dépouiller la peinture de sa facilité, lutter contres les conventions, la mettre à mort pour mieux la renouveler. C’est dans sa capacité à se libérer de la réalité visuelle que Miro est un surréaliste, “le plus surréaliste de nous tous”, dira André Breton.

Etapes d’une carrière internationale et cote actuelle

Sa première exposition personnelle parisienne se tient à la galerie La Licorne en 1921, puis Miro participe à La peinture surréaliste à la galerie Pierre en 1925. Il est alors remarqué par les critiques et commence à bénéficier d’un véritable succès commercial. Après Paris, New York ! Sa première exposition personnelle a lieu au début des années 1930 à la Valentine Gallery, puis il expose à la galerie new-yorkaise Pierre Matisse. A l’heure des premières expositions Outre-Atlantique, Miro a déjà réalisé des chefs-d’oeuvres absolus, ceux-là même que l’on s’arrache des millions en salles de ventes aujourd’hui… C’est le cas d’un tableau-poème au titre surréaliste Painting Poem (Le corps de ma brune puisque je l’aime comme ma chatte habillée en vert salade comme de la grêle c’est pareil), réalisé en 1925, année de sa première exposition à la galerie Pierre Loeb de Paris. Cette œuvre s’arrachait pour 26,5 m$ le 7 février 2012 chez Christie’s, devenant l’adjudication record de Miro jusqu’au mois de juin de la même année. Le 19 juin 2012, se fut au tour de Peinture (Etoile Bleue) de flamber. Prix final : 37 m$ (Sotheby’s Londres), pour une oeuvre qui se vendait l’équivalent de 13,4 m$ à Paris en 2007 (Aguttes).

Pourquoi une telle hausse de prix, de l’ordre de 145 %, en cinq ans ? La première raison est le changement de place de marché, de Paris à New York, où les prix sont naturellement plus forts. La seconde raison est la reconsidération de cette toile particulière, une œuvre clef du surréalisme. L’Etoile bleue fut en effet décrite par la critique d’art Rosalind Krauss comme une synthèse absolue de l’oeuvre de Miro car “on y trouve exceptionnellement la représentation de figures humaines et de signes cosmiques réunis en une seule image”. Peinture (Étoile bleue) est à Miro ce qu’est Le Cri à Edvard Munch, une œuvre trophée pour laquelle les acheteurs les plus fortunés ne sont pas au million près.

Un grand virage pour sa carrière s’opère dans les années 1940. D’abord avec une rétrospective majeure au Museum of Modern Art de New York en 1941, puis avec sa participation à la grande exposition Surréaliste de la Galerie Maeght en 1947. La Galerie Maeght l’expose dès lors chaque année, devenant à la fois sa galerie exclusive, son éditeur et son imprimeur. En 1947 toujours, l’artiste fait son premier voyage aux Etats-Unis, et réalise ses premières œuvres monumentales à travers plusieurs fresques, dont la principale est celle de l’Hôtel Plaza à Cincinnati (3x10m). Les grandes expositions et les prix honorifiques s’enchainent alors : il gagne le Grand prix de gravure de la Biennale de Venise en 1954, est intégré à la première Documenta de Kassel l’année suivante. Il reçoit aussi le Grand Prix de la Fondation Guggenheim pour ses peintures murales à l’Unesco, est fait Chevalier de la Légion d’honneur de la République française en 1962 – année d’une rétrospective au Musée d’art Moderne de la ville de Paris – avant d’être consacré par le Prix Carnegie de peinture (1966) et la Médaille d’or des Beaux-Arts (1980). L’oeuvre de Miro est ainsi consacrée par les plus grandes institutions américaines avant même de l’être en France, en Espagne ou ailleurs. Ses liens avec les Etats-Unis sont forts, autant pour des questions de reconnaissance que d’influences créatives. Miro influença d’ailleurs Jackson Pollock. Comme Pollock, Miro mettait ses tableaux par terre et travaillait souvent en coulures et éclaboussures, dans l’énergie du geste.

Acheter un Miro aujourd’hui

Traditionnellement, les plus grandes toiles sont réservées au marché new-yorkais et à celui de Londres. Mais chaque année d’enchères réserve ses surprises, car nombre d’oeuvres importantes de Miro se trouvent encore en France et en Espagne. Seul New York demeure indiscutablement, chaque année, le cœur du marché de Miro. L’année dernière, les Etats-Unis ont dégagé 37% de son chiffre d’affaires global aux enchères, soit 50,7 m$, pour 30% des lots vendus. Le marché français fut également bien alimenté (plus de 10% des lots vendus), avec 5 m$ d’oeuvres vendues en 2015. Mais c’est à Londres que l’on doit les meilleurs résultats récents, dont la vente de Painting (Women, Moon, Birds) pour 20,4 m$, largement au double des premières estimations. Devenue la troisième œuvre la plus chère de Miro en salles, Painting (Women, Moon, Birds), illustre la progression constante d’une cote en hausse de 34% sur 10 ans, et de 79% depuis l’année 2000.
Miro est certes l’un des artistes les plus cotés du monde, il n’est pas toujours hors de prix pour autant. L’année dernière, près d’un millier de ses oeuvres se sont vendues pour moins de 5 000 $ aux enchères, et ce grâce au flot d’estampes disponibles sur le marché. Ces estampes ne représentent pas moins de 91% du marché de l’artiste, pour 7% du chiffre d’affaires. Il est possible d’en trouver et d’en acquérir dans le monde entier, depuis Londres, Paris et New York, jusqu’à Bucarest, Dallas, Tokyo ou Jérusalem ; depuis des tirages offset non signés accessibles pour une poignée de dollars, jusqu’aux planches rares valant plusieurs dizaines de milliers de dollars. Son estampe la plus recherchée et la plus chère s’intitule Equinoxe. Cette grande aquatinte (plus d’un mètre de haut) de 1967 se vend entre 80 000 et 90 000 $ en moyenne aux enchères. Emblématique, Equinoxe est considérée comme l’une des plus belles planches de l’art du XXème siècle, notamment parmi les quelques 3 500 estampes produites par cet artiste prolifique à l’imaginaire débridé.
Le “mirobolant” Miro comme l’appelait le poète Robert Desnos, exécuta par ailleurs au moins 2 000 peintures, 5 000 dessins et collages, 500 sculptures et 400 céramiques. Tout n’étant pas dans les musées, plus d’un millier de ses œuvres devraient se vendre aux enchères au cours de l’année 2016…