Caravage ou Caravagesque ?

[19/04/2016]

 

La révélation d’une nouvelle œuvre attribuée à Caravage, découverte il y a deux ans dans le grenier d’une maison à Toulouse (France), déchaîne les passions. Annoncée en premier lieu comme un authentique Caravage, les experts ne s’inclinent pas tous avec certitude sur l’attribution de la toile. Elle pourrait être de la main du caravagesque Louis Finson.

Le 12 mars 2016, l’expert en œuvres d’art parisien Eric Turquin annonçait que la Judith et Holopherne de Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit le Caravage (Michelangelo Merisi CARAVAGGIO IL), serait “la toile la plus importante révélée ces vingt dernières années d’un des génies de la peinture universelle”. L’expert a raison sur ce point et le chef-d’oeuvre trouvé dans un grenier pourrait bien être du Caravage, qui a peint deux versions de Judith et Holopherne. La première est exposée au palais Barberini, à Rome. La seconde est perdue. L’annonce parue dans le Journal Officiel du 31 mars 2015 émettait encore des réserves sur l’attribution, indiquant que l’oeuvre mérite “d’être retenue sur le territoire comme un jalon très important du caravagisme, dont le parcours et l’attribution restent encore à approfondir”. Les avis sont encore tranchés, car deux grands spécialistes italiens de Caravage, Mina Gregori et Gianni Papi, émettent des doutes. D’après l’expert Gianni Papi, certains éléments stylistiques pourraient appartenir à Louis FINSON, peintre flamand, grand admirateur de Caravage, qui propagea son style en Europe du Nord. Il se trouve que Louis Finson, ou Ludovicus Finsonius de son nom de naissance (né avant 1580 à Bruges et mort en 1617 à Amsterdam) travailla dans le sud de la France, à Marseille, Aix-en-Provence, Arles, Montpellier, et passa notamment par Toulouse. Le peintre nordique a lui même réalisé plusieurs versions de Judith décapitant Holopherne, dont l’une se trouve au Palais Zevallos à Naples. Au vue des divergences, l’expertise va continuer. Le Louvre en a prit en mains la direction de l’expertise.

Une petite révolution dans le marché de l’art ancien ?

Un véritable Caravage de cette importance devrait rejoindre le club très fermé des œuvres à plus de 100 m$. Ce club des 100 m$ récompense jusqu’à aujourd’hui 10 œuvres seulement : trois de Pablo Picasso, autant d’Alberto Giacometti, le grand nu couché de Modigliani vendu en novembre 2015, le Cri d’Edvard Munch, une étude de Lucian Freud par Francis Bacon, et enfin l’oeuvre Silver Car Crash de Andy Warhol. Elle renouvellerait alors le record mondial de l’art ancien aux enchères. Car les Caravage de cette importance n’existent pas sur le marché et les œuvres anciennes de grande envergure y sont extrêmement rares. Le record de l’art ancien n’a pas été renouvelé depuis 2002, année de la dispersion du Massacre des innocents de Peter Paul Rubens, vendu 76,6 m$, chez Sotheby’s à Londres. Ce chef-d’œuvre de Rubens pourrait passer le seuil des 100m$ s’il était proposé en salles aujourd’hui…
Si un Caravage de cet ampleur se voyait proposé aux enchères, il ferait l’effet d’une petite révolution sur le marché tari de l’art ancien Occidental (artistes nés avant 1760), dont le chiffre d’affaires est en berne (538,3m$ de résultats en 2015 contre 549,5m$ en 2005). Les œuvres de haute qualité y sont trop rares, si bien qu’une seule peinture passait le seuil des 10m$ en 2015, celle de Lucas I CRANACH, (The Bocca della Verità vendue 14,4m$ chez Sotheby’s Londres, 8 juillet 2015).

Un Finson exceptionnel ?

Si l’oeuvre se retrouvait finalement attribuée avec certitude non pas à Caravage mais à Finson, elle pourrait certes rafraichir le record actuel de l’artiste en passant le million de dollars, mais l’amplitude de cote entre les deux artistes est considérable. D’autant que Louis Finson n’est pas le caravagesque le plus côté. Contrairement à ses œuvres, celles des néerlandais Hendrick TER BRUGGHEN (1588-1629) et Gerrit VAN HONTHORST (1592-1656) s’échangent déjà pour plusieurs millions sur le marché des enchères. Par ailleurs, le critère de rareté et la dimension passionnelle réservent généralement de grandes surprises aux enchères. Les estimations apparaissent alors plus comme une rampe de lancement pour les enchérisseurs, que comme une fourchette de valorisation définitive. Puisqu’il n’est pas possible d’illustrer le propos avec Caravage dont le marché est quasi inexistant, prenons l’exemple de Louis Finson, dont l’oeuvre la plus importante mise à l’encan décuplait son estimation haute il y a 10 ans. En passant de 60 000 $ estimés à un prix de vente de plus de 600 000 $, Allegory of the Four Elements, illustre bien la ferveur animant un marché ancien de qualité (estimée 64 000 $, Allegory of the Four Elements se vendait près de 620 000 $, le 10 mai 2005 chez Sotheby’s Amsterdam).

Pour l’heure, la patience est de mise… il faudra attendre au moins 30 mois avant de savoir si Judith et Holopherne sera mise en vente sur le marché public ou privé. 30 mois étant la période requise par le ministère de la culture pour mener à bien l’expertise de ce Trésor national.