Le dessin et son marché

[05/04/2016]

 

A Paris, trois foires (Le Salon du dessin, Drawing Now et DDESSIN) portent sur le devant de la scène un médium ô combien important au regard de l’histoire de l’art mais qui, sur le marché, reste malheureusement toujours un peu dans l’ombre de la peinture, de la sculpture et même de la photographie. Depuis de nombreuses années, le dessin bénéficie pourtant d’un important regain d’attention, grâce tout d’abord à de très belles expositions consacrées aux diverses formes qu’il peut revêtir, et puis par l’intérêt croissant des collectionneurs pour ces œuvres délicates.

Les travaux sur papier trouvent au sein de l’art contemporain une nouvelle place à part entière, sur laquelle s’interroge Drawing Now. Un symposium est ainsi organisé chaque année par la foire afin d’aborder les grandes questions que pose ce médium. Parmi les sujets explorés : collectionner, exposer, conserver ou encore enseigner le dessin. Dans le cadre de ces tables rondes, Artprice était invité à discuter de l’essor du dessin sur le marché de l’art.

Il est rassurant, lorsque l’on souhaite participer ou tout simplement s’intéresser au marché du dessin, de posséder un certain nombre de chiffres sur lesquels s’appuyer. Il est en effet essentiel de garder une vision globale du marché, de sa structure, de son évolution et finalement de son fonctionnement, d’autant plus que les ventes de dessins ont connu une extraordinaire croissance au cours des dernières années. Les recettes en salles de ventes ont été multipliées par 6 entre 2005 et 2015, passant de 500 m$ à 3 Mrd$, tandis que le nombre de transactions a quant à lui doublé. On observe donc une très nette augmentation du prix moyen pour les dessins sur cette période : il était de 7 000 $ et est présent de l’ordre 22 000 $ par lot. Le prix moyen pour la peinture, juste en dessous de 23 000 $ en 2005, s’est hissé à 45 000 $ en 2015. Si les œuvres sur papier restent ainsi de façon générale moins onéreuse que les toiles, la différence tend néanmoins à s’atténuer doucement.

Cette transformation ne peut cependant être comprise sans sous-peser le rôle fondamental de la Chine sur le marché du dessin. L’étude des résultats aux enchères pour ce médium fait tout de suite ressortir la profonde influence de la République Populaire de Chine sur les ventes de dessins : les plus belles adjudications sont largement enregistrées dans ce pays, les artistes les plus performants aux enchères sont en grand nombre chinois et le produit de ventes varie très semblablement à celui du marché de l’art la Chine. L’explosion du marché chinois, centrée autour de 2010, correspond parfaitement à celle que connut également le dessin. Ce médium passe tout à coup de 12 % à 40 % des recettes Fine Art en ventes publiques.

Les collectionneurs chinois admirent plus que tout l’art de la calligraphie et de la peinture traditionnelle. Ces deux pratiques, bien que très différentes des formes de dessin répandues en Occident, relèvent de la maîtrise du trait et prennent généralement pour support un papier de riz ou de soie. Les œuvres qui en découlent peuvent donc être légitimement considérées comme des dessins et les plus grands artistes chinois historiques, à l’instar de Zang Daquian ou Qi Baishi, mais aussi des contemporains comme Cui Ruzhuo, sont des dessinateurs plus que des peintres. Aujourd’hui, le marché de l’art Chinois pèse une part substantielle dans le produit de ventes pour ce médium. La Chine continentale (58 %) et Hong Kong (14 %) tiennent ensemble presque trois quart du marché du dessin mondial.

En Occident, l’art du dessin reste largement dominé par celui de la peinture. Cette emprise est même si forte qu’elle se ressent dans les plus belles enchères. Ainsi, le meilleur résultat enregistré pour un dessin en 2015 fait briller une étude de Paul CÉZANNE pour un joueur de cartes : L’homme à la pipe (1892-1896).

Le record historique établi en 2012 pour l’une des versions du Cri d’Edvard MUNCH posait déjà la question de l’influence de la peinture sur le dessin. La pièce, réalisée en 1895, est l’une des cinq versions de l’œuvre légendaire, la seule exécutée au pastel sur un support en carton. Si elle doit donc être considérée techniquement comme un dessin, elle relève sans aucun doute d’une recherche picturale qui tient principalement de la peinture.

L’art du dessin reste sans aucun doute intimement attaché à celui des autres médias. Il suit cependant une approche artistique profondément différente que beaucoup souhaitent aujourd’hui mettre en avant, pour la voir enfin appréciée à sa juste valeur. De nombreux événements (expositions, foires, ventes, etc.) œuvrent aujourd’hui de concert pour transformer lentement de notre regard sur le dessin, et peu à peu son marché.