Ellsworth Kelly

[05/01/2016]

 

Né le 31 mai 1923 à Newburgh (New York) et décédé le 27 décembre 2015, Ellsworth KELLY fut un pionnier de l’abstraction dès les années 1940, époque de ses premiers tableaux-reliefs. Créés sur des panneaux individuels comme des collages semblant sortir des murs, les œuvres rigoureuses de Kelly évoquent les sculptures antiques en bas-reliefs dans leur façon de ne faire qu’un avec la surface du mur et de se situer à la frontière de la peinture, la sculpture et l’architecture, mais leurs lignes tranchantes et leur rigueur colorée ont ouvert une nouvelle voie abstraite.

Après cinq années de formation aux Etats-Unis et deux ans d’armée, Kelly gagne l’Europe en janvier 1943 et reste à Paris jusqu’en 1954. Ses années passées en France sont décisives dans la construction d’un langage pictural radical. Tout autant intéressé par la relation entre l’art et l’architecture des églises qu’il visite que par la mosaïque byzantine et l’abstraction de Kandinsky, Kelly se nourrit aussi d’artistes aussi révolutionnaires que Picasso, Matisse, Delaunay, Brancusi, Arp et Calder, qui deviendra son ami. Ces multiples influences l’amènent vers un nouvel art de simplifier les formes en observant dans un premier temps des paysages urbains. Son abstraction n’a rien de lyrique, mais elle part de l’observation et d’une certaine vision de la réalité. Depuis la France, il suit une voie opposée à celle menée par ses compatriotes de l’Expressionnisme abstrait, notamment de l’Action painting. Lui préfère simplifier, évacuer la subjectivité, l’inspiration personnelle et le culte de la personnalité.
Le succès lui faisant défaut à Paris, Kelly décide de rejoindre New York en 1954 et les choses commencent rapidement à bouger grâce au soutien d’Alexandre Calder qui le présente aux directeurs du MoMA et du musée Guggenheim. En 1957, l’artiste participe à l’exposition Young America 1957 au Whitney Museum de New York, qui acquiert une de ses œuvres. L’année suivante, il revient en France pour une exposition personnelle à la galerie Maeght et commence à rencontrer le succès en France.

Les années 1950 élisent Kelly comme chef de file d’une nouvelle abstraction américaine : prix, récompenses et expositions s’enchainent alors aux États-Unis, en Europe et en Asie. Il intègre la Sidney Janis Gallery de New York en 1965, expose en 1966 au pavillon américain de la Biennale de Venise avec Helen Frankenthaler, Roy Lichtenstein et Jules Olitsky. Sa première grande consécration remonte aux débuts des années 1970, avec une rétrospective organisée au Museum of Modern Art de New York (en 1973). La signature de Kelly devient dès lors une référence absolue dans le paysage de l’art contemporain américain. Sa notoriété et son influence lui ont valu d’autres honneurs plus tardifs, puisqu’il fut nommé Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 1988, Chevalier de la Légion d’Honneur en 1993, Commandeur des Arts et des Lettres en 2002 et reçu, en 2003, la Médaille nationale des arts, des mains de Barack Obama.

La cote de Kelly vs Reinhardt, Morellet, Nemours et Mosset

En 70 ans de création sans compromis, Kelly a imposé son style et influencé toute une génération d’artistes partisans de l’art minimal. Essentiellement collectionné aux Etats-Unis (97% de son marché aux enchères), sa cote décolle aux milieu des années 1980 avec les premiers résultats à six chiffres, et il passe le pallier millionnaire au début des années 2000. Depuis 2000, son indice de prix affiche une hausse de 80% et l’artiste a cumulé 22 enchères millionnaires, dont un record établi à 5,193 m$ en 2007 avec Spectrum VI, une symphonie colorée en 13 panneaux, réalisée en 1969.
Kelly se retrouve plus coté que son compatriote Ad REINHARDT, son aîné de 10 ans pourtant reconnu avant lui par le marché américain. La rigueur minimaliste et colorée d’Ad Reinhardt porte sa meilleure vente aux enchères à 2,7 m$, pour une toile abstraite rouge de 1953, vendue chez Christie’s en 2013, et il ne compte que huit enchères millionnaires.

Mais le gap de prix est bien plus impressionnant si l’on compare la cote de Kelly ou de Reinhardt avec celle de leurs homologues français, tout autant aficionados d’une abstraction construite, notamment François MORELLET (né en 1926) et Aurélie NEMOURS (née en 1910) qui sont de la même génération, ou encore Olivier MOSSET, né pour sa part en 1944. Aucun de ces trois artistes, tout aussi incontournables dans la création contemporaine en France que le sont Kelly et Reinhardt aux Etats-Unis, ne parvient à des niveaux de prix millionnaires. Le plus cher de tous reste Morellet, avec un record établi à hauteur de 590 000 $ il y a cinq ans (2 trames de tirets 0° 90°, 1972, vendue chez Sotheby’s Amsterdam en 2010) et une cote en hausse de pas moins de 537% depuis l’année 2000 !
La confidentialité des artistes français irait-elle de paire avec leur importance ? Pour gagner le cœur des nombreux amateurs américains d’abstraction, il faudrait encore que ces artistes soient honorés par de grandes rétrospectives en France, puis aux Etats-Unis.