L’intarissable collection Henri Petiet

[22/12/2015]

 

Chaque année, depuis plus de vingt ans, une partie de la collection d’estampes d’Henri Marie Petiet (1894-1980) régale le marché français de planches en bel état de conservation. Plusieurs milliers d’épreuves ont déjà été vendues, assorties d’une provenance historique prestigieuse, car Henri Petiet, qui fut grand marchand pour mieux être grand collectionneur, devint un expert mondialement reconnu dans le domaine de l’estampe. Son rôle fut essentiel dans l’évolution de la place de l’estampe au sein des grandes collections américaines, publiques ou privées, grâce aux liens de confiance tissés avec d’importants conservateurs tels que Carl Schnewing et Harold Joachim à Chicago, Agnès Mongan au Fogg Museum. Elisabeth Mongan, Eleanore Sayre à Boston, Adelyne Breeskin à Washington ; avec des marchands tels que George Keller et des collectionneurs comme Lessing Rosenwald.

A la mort du grand marchand et éditeur Ambroise Vollard en 1939, Henri Petiet achète la presque totalité de ses éditions, notamment la fameuse Suite Vollard de Picasso, une série de 100 gravures à l’eau forte promise par Picasso à son premier marchand en échange d’un tableau de Cézanne et d’un Renoir. Quelques 310 jeux complets de la Suite Vollard furent tirés à partir des 100 plaques originales, et plusieurs séries furent achetées par Henri Petiet, dont une se trouve aujourd’hui dans les collections du Bristish Museum. Non content de l’acquisition du stock Vollard, Monsieur Petiet a poursuivi son travail en éditant lui-même des artistes tels que Marie Laurencin, Gromaire, Dunoyer de Segonzac, Boussingault ou Pierre Dubreui et accumulé des estampes acquises à petits prix en salles des ventes, conscient qu’il lui faudrait les conserver quelques années avant d’espérer les revendre.

Sa collection intarissable compte avec Pierre Bonnard, Paul Gauguin, Fernand Léger, Le Corbusier, Marie Laurencin, Matisse, Degas, Vuillard, Maurice Denis, Jean-Louis Boussingault, Mary Cassatt, Eugène Clairin, André Derain, Raoul Dufy, Charles Dufresne, A. Dunoyer de Segonzac, Maillol, Matisse, Pascin, Pissarro, Rouault, Roussel, Signac, Jacques Villon, Vlaminck, Odilon Redon et bien d’autres… tous les grands artistes modernes y sont représentés. Longtemps orchestrées par Piasa, les ventes sont aujourd’hui confiées à la société Ader, qui dispersait 325 lots le 10 décembre dernier.

La vente du 10 décembre 2015
Pour cette vente dédiée à la collection Petiet, les estimations se trouvaient souvent bien en dessous de la réalité du marché : une belle épreuve lithographique entoilée de Pierre Bonnard, L’estampe et l’affiche (1897) estimée 750 € est d’ailleurs partie pour 2 000 €; une délicate épreuve de Corot, Le Bois de l’Ermite (1858) estimée 450 € est arrivée à 1 600 € ; de Corot toujours, Les Paladins, estimée 300 € s’est vendue 1 900 € ; une Odalisque d’Ingres (1825) estimée 1 200 € cédée 2 600 €; une pierre lithographique accompagnée d’un retirage de Toulouse Lautrec, Les Vieilles Histoires, estimée 4 500 € a atteint 8 000 €… de nombreuses épreuves sont ainsi parties au double, au triple, au quadruple des estimations fournies, et un record est à signaler pour l’artiste George Daniel de Montfreid, l’ami de Gauguin dont il grava un magnifique portrait annoncé 850 € et finalement vendu 2 200 €… Néanmoins, le résultat s’avère décevant car l’oeuvre phare de cette cession, Le Chapeau épinglé de Renoir, ne s’est pas vendue dans son estimation de 30 000 €. Il s’agit pourtant de l’une des épreuves les plus convoitées de Renoir, une impression lithographique en neuf couleurs tirée à 200 épreuves par Ambroise Vollard… les amateurs lui préfèrent clairement l’impression d’Auguste Clot sur 100 exemplaires, une oeuvre vendue plus de 250 000 € en salle il y a cinq ans (Sotheby’s Paris).
Une prestigieuse provenance assortie des plus belles signatures de l’art moderne n’est pas une garantie de réussite à tout prix sur le marché parisien, mais ce type de vacation est une occasion unique d’acquérir des oeuvres originales multiples à bas prix, des épreuves à 100, 200, 300 euros, signées Antoine-Louis Barye, Nicolas-Toussaint Charlet, d’Honoré Daumier ou Théodore Géricaul… bref, cette grande vente d’estampes modernes témoigne du caractère tout à fait abordable d’un médium plus discret que les autres.