Gustave Miklos, un avant-gardiste “byzantin” à redécouvrir

[01/12/2015]

 

Lorsque Gustave MIKLOS (1888-1967) se définit comme sculpteur et peintre, il omet de préciser ses talents de musicien, d’illustrateur, d’émailleur, de décorateur… entre autres. Peu connu du grand public, ce français d’origine hongroise est pourtant un artiste complet, précurseur du style Art Déco, soutenu par des personnages influents du début du XXème siècle. Si sa production, prolixe et inclassable, en fit longtemps l’un des grands oubliés des historiens de l’art, sa cote a d’autant plus décollé que ses œuvres sont une denrée rare.

Miklos arrive à Paris à 21 ans. Nous sommes en 1909 et le Cubisme est en gestation entre les pinceaux de Pablo Picasso. Le jeune artiste s’installe à la Ruche et suit les cours du peintre Henri Le Fauconnier à l’Académie de la Palette, avant d’entrer dans l’atelier de Jean Metzinger et de poursuivre par un bref passage à la Section d’Or. Les nouvelles théories cubistes s’inscrivent alors dans ses gènes artistiques, mais son parcours n’est pas tracé d’avance. Miklos doit laisser son travail en suspens pour être incorporé dans la Légion étrangère (dans l’Armée d’Orient). Il revient à Paris en 1919, sans le sou et sans œuvres… car celles-ci furent inondées pendant son absence.
Pour survivre, il fait jouer les différentes cordes de son arc, travaille l’art de l’émail au côté de Pierre Frémond, puis les laques dans l’atelier de Brugier. Ses œuvres sous influences cubistes et byzantines sont remarquées par le couturier, collectionneur et mécène Jacques Doucet au Salon de 1920. Miklos commence à travailler pour lui l’année suivante, assistant Pierre Legrain à la décoration du studio Saint James (création de divers meubles, sculptures et autres objets décoratifs). En 1922, il expose deux tableaux au Salon des indépendants, consacré aux artistes cubistes, puis arrête soudainement de peindre. Son dernier tableau, un adieu à la peinture, représente un clown (lui-même) sonnant la cloche. Miklos aura peint moins de 150 tableaux au cours de sa carrière, réalisé quelques 180 œuvres en bronze, cuivre, ciment, bois (des pièces uniques), environ 100 objets décoratifs (meubles, bijoux, tissus et accessoires de mode). Le terme mis à son activité de peintre n’éteint pas son actualité, car ses sculptures sont bien mieux accueillies que ses peintures : Léonce Rosenberg lui consacre une exposition personnelle à la Galerie de L’Effort Moderne en 1923 et la galerie de la Renaissance lui consacre une exposition personnelle cinq ans plus tard à Paris. Cette dernière exposition marque l’apogée d’une carrière fulgurante de sculpteur. Quelques années plus tard, Miklos rompt définitivement avec le monde de l’art parisien, choisissant de s’exiler à Oyonnax (de 1940 à sa mort en 1967). L’élan parisien brisé, il continue néanmoins à créer des sculptures inspirées, entre cubisme et africanisme.

Millionnaire en sculpture et en mobilier

Toutes les sculptures de Miklos sont des pièces uniques, qu’il polissait et vernissait lui-même. Aussi rares que convoitées, les plus belles passent allègrement les 100 000 $. Une Tête stylisée à la cire perdue s’envolait jusqu’à 1,1 m$ chez Sotheby’s Paris l’année dernière (le 11 mars 2014), alors que l’oeuvre était estimée trois fois moins… Les belle pièces s’envolent tant elles sont rares et la demande existe. Elle est d’ailleurs suffisamment vivace pour avoir stimulé une marché parallèle avec des tirages illégaux… Méfiance donc sous la signature de Miklos, car des “faux” circulent en Europe et aux Etats-Unis.

Reconnu tant comme artiste plasticien qu’artiste décorateur, Miklos fait partie du cercle restreint des créateurs français ayant passé le seuil du million dans le domaine du mobilier. Une paire de banquettes fut en effet dispersée lors de la “vente du siècle” de février 2009, celle de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, organisée par Christie’s au Grand Palais de Paris. Grands connaisseurs d’art décoratifs et d’Art Moderne, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé possédaient de Miklos deux banquettes de la fin des années 1920. Ces objets aux poignées et piètement rouge corail, tapissés de peau de léopard, trônaient dans leur grand salon à proximité de tableaux signés par Fernand Léger, Giorgio de Chirico, Henri Matisse, Edouard Vuillard, Juan Gris, Paul Klee et Edvard Munch. Un ensemble rare pouvant donner le tournis… Parce qu’elles avaient appartenu à l’illustre couple, les banquettes étaient assorties d’une estimation comprise entre deux et trois millions d’euros, bien que Miklos n’ait jamais atteint un tel niveau de prix avant cette vacation. Elles partaient finalement pour 2,2 m$, un record toujours d’actualité que ses sculptures ne sont pas encore parvenues à battre. L’histoire de ces meubles, commandés par le couturier Jacques Doucet puis assortie du prestige de leur dernière provenance, aura poussé au record. Souvenons-nous que, lors de cette même vente, le Fauteuil aux dragons d’Eileen GRAY estimé 2,5-3,8 m$ s’envolait pour 28 m$, soit le prix le plus élevé pour un meuble du XXème siècle.

Comme Eileen Gray, Gustave Miklos s’est forgé un style unique et avant-gardiste. A sa différence, il a choisi l’anonymat pour refuge et a achevé sa carrière dans l’ombre. Quelques expositions et récents catalogues (le volume II du catalogue raisonné de son œuvre est sorti en 2014) tentent de combler les lacunes et de l’honorer comme il aurait dû l’être de son vivant. Ses créations se traquent sur le marché français (98 % de son chiffre d’affaires) avec des prix en hausse pour les sculptures et le mobilier, mais une cote raisonnable de 500- 1 500 $ concernant ses dessins.