Germaine Richier – une grande dame de la sculpture

[19/05/2015]

 

Germaine Richier a atteint son premier million aux enchères il y a un an. Cette pionnière de la sculpture du XXème siècle n’a pas autant d’impact que Constantin Brancusi, Louise Bourgeois ou Alberto Giacometti. Sa cote grimpe mais l’artiste reste abordable en regard des grands sculpteurs contemporains.

Germaine RICHIER entame sa formation à l’Ecole des Beaux-Arts de Montpellier. L’ascendance de Rodin se manifeste déjà, puisqu’elle suit le cours de Louis-Jacques GUIGUES (1873-1943), ancien collaborateur de Rodin. Elle a 20 ans et ses premières sculptures sont essentiellement académiques. Puis, elle «monte » à Paris en 1926 pour recevoir l’enseignement particulier d’Émile Antoine BOURDELLE (1861-1929), lui-aussi un ancien disciple de Rodin. Elle étudie trois ans auprès de Bourdelle et s’installe dans son propre atelier parisien, où elle s’attelle à la création de nombreux bustes, travaille d’après modèles, expérimente et met en place un vocabulaire plus personnel dans un style demeurant néanmoins réaliste. Elle rencontre à la même époque son futur époux, le sculpteur suisse Otto Charles BÄNNINGER (1897-1973), qui fut praticien chez Bourdelle. En 1939, le couple est à Zurich en vacances lorsque la Seconde Guerre éclate. Ils restent en Suisse. Germaine Richier ouvre un atelier et côtoie nombre d’élèves et des artistes, dont Hans Arp et Alberto Giacometti. Cette période de sept ans en Suisse alémanique marque un véritable basculement dans son œuvre.

L’époque charnière

L’héritage de Rodin se manifeste de plus en plus sensiblement. La sculpture devient expressive, en rupture avec les modèles traditionnels figés. De plus en plus d’importance est accordée au modelé dans lequel s’inscrit le sentiment. C’est en Suisse, à partir des sculptures massives de Lucette en 1939, que Germaine Richier entame sa métamorphose. Elle glisse du corps naturel vers un bestiaire anthropomorphe, renoue avec une pensée archaïque qui puise aux sources anciennes de la sculpture. La figure humaine s’hybride, son univers se peuple d’Homme-forêt, de Mante religieuse et de Femme-coq. Ces figures énigmatiques réalisées exclusivement dans le bronze valent à l’artiste ses premiers succès en Suisse. Elle expose à Bâle en 1944, au Kunsthaus de Zurich et à la Kunsthalle de Berne en 1945, puis à Genève en 1946. Une grande Mante religieuse de cette période s’est vendue pour 370 000 € l’année dernière à Paris (165 cm de haut, Sotheby’s, le 3 juin 2014). Cet insecte géant pourvu de seins de femme affiche une surface rugueuse, tourmentée. La mangeuse d’homme prête à bondir est définitivement inscrite dans son temps en incarnant les traumatismes de la guerre. Il s’agit d’une œuvre majeure et rare de Germaine Richier, dont le prix a augmenté de 51% en 10 ans. Germaine Richier demeure néanmoins sous-cotée en regard de ses contemporains. Une œuvre aussi importante que la Mante décrocherait en effet, sous la signature d’Alberto Giacometti ou de Louise Bourgeois, plusieurs millions.
Les premiers millions de Germaine Richier sont récents : deux coups de marteau records furent enregistrés l’année dernière à Paris. C’est Don Quichotte qui emporta, en juin 2014, la palme de l’œuvre la plus cotée. Ce bronze de plus de deux mètres de haut est la plus grande sculpture connue de l’artiste. Elle fut notamment exposée à la 21ème Biennale de Venise, en 1952. Sotheby’s Paris en proposait une estimation de 500 a 600 000 euros, tout en rapprochant cette silhouette filiforme de L’Homme qui marche de Giacometti. L’œuvre s’est envolée bien au-delà, pour 1,4 millions d’euros au marteau (plus de 1,6 millions d’euros frais inclus), affichant 1 million de plus que son prix en 2009 (vente Sotheby’s Londres du 25 juin 2009). De fortes poussées de prix sont ainsi enregistrées depuis cinq ou six ans, témoignant d’un réajustement de cote pour cette figure majeure, plus méconnue que d’autres grands sculpteurs contemporains. Germaine Richier n’a ainsi rattrapé que récemment la cote de César (1921-1998), illustre sculpteur appartenant au groupe du Nouveau Réalisme, qui fût son élève.

Quelques années après son retour à Paris en 1946, Germaine Richier intègre de la couleur dans ses œuvres, réalise une série de grands plâtres peints. Plus baroques, ces personnages polychromés introduisent une certaine gaieté, jusqu’alors étrangère à son œuvre. Ces œuvres sont rarissimes, les bronzes sont plus aisés à trouver, plus recherchés aussi. Quelques sculptures de petites formats (une vingtaine de centimètres) s’échangent autour de 10 000-15 000 euros et les œuvres de plus d’un mètre dépassent allègrement les 200 000 euros, sans noter d’emballement sur les prix. Les estampes (18% du marché) sont quant à elles accessibles pour quelques centaines d’euros. C’est avec cette dernière technique que l’artiste illustra les Illuminations et Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud (série d’eaux-fortes publiée en 1951).

Reconnu de son vivant, le travail de Germaine Richier est exposé à la Biennale de Venise en 1948, 1952 et 1954. Elle est aussi présentée au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, fait l’objet d’une rétrospective au musée d’Art moderne de la ville de Paris en 1956, expose à la Documenta de Cassel en 1958. Au faîte de sa gloire, l’artiste tombe malade et arrête pour la première fois son travail. Elle décède à Montpellier le 31 juillet 1959, à l’âge de 57 ans. Depuis sa mort, les musées d’Antibes, de Zurich, la Tate modern à Londres, la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, l’Akademie der Künste à Berlin, le Pavillon du musée Fabre à Montpellier et la Fondation Peggy Gugenheim à Venise lui ont consacré des expositions importantes. Ses œuvres ont intégré les collections prestigieuses du musée Guggenheim de Venise ou du MoMA de New York mais cette illustre artiste demande à être plus considérée par l’histoire de l’art et par le marché.