Artprice : la plus belle vente publique d’art de tous les temps ?

[06/05/2015]

 

Dans son dernier Rapport Annuel sur le Marché de l’Art mondial, Artprice, leader mondial de l’information sur le Marché de l’Art, soulignait la croissance exceptionnelle que connaît ce dernier.
Entre 2013 et 2014, le produit des ventes aux enchères publiques a progressé de +26 % (passant de 12,05 Mrd$ à 15,2 Mrd$) et de +422 % entre 2000 et 2014, tandis que l’indice global des prix, calculé par Artprice sur la base des ventes répétées d’œuvres d’art, a gagné +32 % en l’espace de 10 ans ! (cf dépêche AFP exclusive du 26/02/2015)

L’explosion du Marché de l’Art se ressent particulièrement lors des ventes publiques de prestige qui se déroulent à présent à New York. Sotheby’s hier, Christie’s la semaine prochaine avec vraisemblablement la plus belle vente publique d’art de tous les temps, selon thierry Ehrmann fondateur et président d’Artprice… Les grandes Maisons ont dévoilé la liste des chefs-d’oeuvre qu’elles avaient pu rassembler pour leurs flamboyantes sessions de printemps.

Artprice analyse, compare et explique ces ventes historiques, par son département de statistiques et d’économétrie.

Ce 5 mai 2015, la Maison de Ventes Sotheby’s ouvrait le bal, avec une grande vente Impressionniste et Moderne. Depuis plusieurs années, elle s’est spécialisée dans la revente d’œuvres réalisées durant ces périodes, tandis que sa rivale londonienne, Christie’s, excelle davantage dans les sessions d’Art Contemporain et d’Après-guerre. On se souvient particulièrement du coup de marteau historique (107 m$, hors frais) frappé par Sotheby’s en 2012, pour un dessin, l’un des célèbres Cri (1895) d’Edvard Munch.

Parmi les œuvres phares de la vente de ce mardi 5 mai : L’Allée des Alyscamps (1888) du peintre néerlandais Vincent van Gogh. Ses toiles se font rares sur le Marché, si bien que celle-ci dépassa largement les estimations et fut acquise pour 66,33 m$ (avec frais). Mais l’artiste décidément mis à l’honneur était Claude Monet ! Six toiles signées par le grand maître, père de l’Impressionnisme, étaient mises en ventes. A commencer par l’une des versions de ses très célèbres Nymphéas, réalisée en 1905 et estimée entre 30 m$ et 45 m$. Mesurant 81 cm par 100,5 cm, cette œuvre est très similaire aux Nymphéas (1906), qui furent cédés pour 54 m$ (avec frais) chez Sotheby’s à Londres, le 24 juin 2014. . La version en vente hier fut achetée pour 54,01 m$ (avec frais).

Le 11 mai, Christie’s proposera à son tour une œuvre importante de Claude Monet : Le Parlement, soleil couchant, peinte entre 1900 et 1901, et dont le prix d’adjudication devrait être aussi élevé que celui de la toile qui couronne la vente de sa rivale. Oui mais voilà… Outre ce lot, la Maison Christie’s mettra en ventes des chefs-d’oeuvre beaucoup plus rares, et beaucoup plus recherchés encore ! Pour sa première grande vente printanière, qu’elle organise à New York ce lundi 11 mai 2015, la Maison londonienne a voulu éblouir et innover.

Certes, elle commence avec une semaine de retard sur sa concurrente directe, mais rarement autant de pièces majeures furent proposées lors d’une seule et même session dans l’histoire du Marché de l’Art.

Intitulée Looking forward to the past (un jeu de mots que l’on pourrait traduire approximativement par ‘Se réjouir du passé’), cette vente a beaucoup de chance de voir tomber le record de l’oeuvre d’art vendues aux enchères publiques enregistré par la même Maison (Christie’s New York), le 12 novembre 2013 pour le triptyque Three Studies of Lucian Freud (1969) de Francis Bacon : 142,4 m$ (avec frais).

Looking forward to the past réunit seulement 35 lots (contre 69 pour la vente organisée le 5 mai chez Sotheby’s), dont cinq pour lesquels l’estimation n’est fournie que sur demande. Ce sont évidement les œuvres les plus importantes de la vente.

La plus iconique de toutes, l’une des 15 versions des Femmes d’Alger (1955) de Pablo Picasso, a été estimée 140 m$ !

Grâce à sa base de données unique, Artprice est parvenue à retrouver la vente précédente de cette œuvre. Les femmes d’Alger (Version ‘O’) fut en effet acquise en novembre 1997 pour un prix au marteau de 32 m$. 17 ans et demi plus tard, l’œuvre est ainsi évaluée plus de 4 fois plus chère ! Elle a aujourd’hui de bonnes chances de devenir l’œuvre la plus onéreuse du peintre espagnol, dépassant les 106,5 m$ (avec frais) enregistrés pour Nude, Green Leaves and Bust (1932) le 4 mai 2010 chez Christie’s New York, et peut-être même l’oeuvre la plus chère au monde. Picasso se positionnait numéro 2 dans le classement Artprice 2014, réalisé depuis 18 ans. L’indice des prix de ses oeuvres a connu une hausse de +132 % entre 2000 et 2015.

Une sculpture de Giacometti pourrait toutefois voler la vedette aux Femmes d’AlgerL’Homme au doigt (1947) a en effet été estimé 130 m$. Un record pour l’artiste d’origine italienne, qui se positionnait 8ème dans le dernier classement Artprice. L’indice des prix de ses oeuvres a connu une hausse de +386 % entre 2000 et 2015. Pour mémoire, le record aux enchères pour une œuvre de Giacometti est de 103,6 m$ (avec frais), pour L’homme qui marche.

Citons par ailleurs, la vente d’une peinture majeure de Dubuffet, Paris Polka, estimée 25 m$. Le record à ce jour pour l’artiste français demeure les 7,4 m$ enregistrés le 11 novembre dernier chez Sotheby’s New York. L’indice des prix de ses oeuvres a connu une hausse de +171 % entre 2000 et 2015.

Comme il a été souligné, la vente Looking forward to the past se veut originale. Pour ce faire elle combine des œuvres réalisées au cours de nombreuses périodes, depuis la fin du XIXème jusqu’en ce début de XXIème siècle. Ainsi, des signatures de peintres majeurs de la seconde partie du XXème sicècle ont été incorporées à la vente, parmi lesquelles deux toiles de Warhol et autant de Jean-Michel Basquiat. Mais c’est la présence dans cette très courte liste d’artistes hyper contemporains qui frappe le plus.

Une des toiles du peintre écossais Peter Doig (1959), a été évaluée par la maison de ventes 20 m$ ; une estimation d’autant plus saisissante que cette oeuvre, Swamped (1990), avaient été cédée pour 410 000 $ le 7 février 2002. La valeur de cette œuvre a connu une progression exponentielle au cours de ces 13 dernières années : +4 800 %. Peter Doig se positionnait 33ème dans le classement Artprice 2014. L’indice des prix de ses oeuvres a connu une hausse de +838 % entre 2000 et 2015.

A seulement 42 ans, le Suisse Urs Fischer s’immisce lui-aussi dans cette session ultra-prestigieuse. Sa sculpture en paraffine destinée à être consumée à la manière d’une bougie, Untitled (2011), devrait être achetée entre 1,2 m$ et 1,8 m$, selon la Maison de Ventes Christie’s.

Finalement, Looking forward to the past devrait réaliser la seconde meilleure performance de tous les temps en une seule session. Elle pourrait même éventuellement dépasser la vente historique du 12 novembre 2014, durant laquelle Christie’s totalisa plus de 751 m$ d’adjudication. A noter toutefois que cette vente-là rassemblait 82 lots, tandis que celle de lundi prochain ne compte que 35 oeuvres, mais toutes de la plus haute qualité.

Comme le rappelait Artprice dans son dernier Rapport Annuel, le Marché de l’Art est en pleine effervescence ! Il s’est créé plus de musées entre 2000 et 2014 que durant tout le XIXème et XXème siècle ; et au cours de la seule année 2015, plus de 700 nouveaux musées devraient voir le jour. Il faut comprendre qu’il existe désormais une industrie muséale et donc un modèle économique parfaitement rodé, qui permet d’acquérir des œuvres exceptionnelles à des prix supérieurs à 100 m$, car le retour sur investissement dans l’économie du musée justifie ce type d’achat.

Cette industrie dévoreuse de pièces muséales est l’un des facteurs primordiaux de la croissance spectaculaire du Marché de l’Art.

Les leviers d’une telle croissance passent par la facilité d’accès aux informations sur le Marché de l’Art, la dématérialisation des ventes – le tout sur Internet avec 91 % des acteurs connectés – la financiarisation du marché, l’accroissement des consommateurs d’art (de 500 000 à l’après-guerre à 70 millions en 2015), leur rajeunissement, l’extension du marché à toute la Grande Asie, zone Pacifique, Inde, Afrique du Sud, Moyen-Orient et Amérique du Sud.

Le Marché́ de l’Art est désormais mature et liquide, offrant des rendements de +10 % à +15 % par an pour les oeuvres supérieures à 100 000 $. En 2014, dans le combat de titans Chine / USA, les Etats-Unis ont connu une croissance spectaculaire, tant dans les records que dans le CA global. Ils ratent de peu la première place, ravie par la Chine qui dispose du plus grand marché d’œuvres anciennes au monde. Le pouvoir de l’art constitue un Soft Power essentiel pour les Etats-Unis, la Chine et, à une autre échelle, le Qatar.

Les prix de l’art ne cessent ainsi de changer d’échelle. Après avoir stagné sur une fourchette haute de 10 m$ dans les années 1980 puis atteint au cours des années 2000 la barre des 100 m$, ils ont franchi le 5 février 2015 selon « The New York Times » la barre des 300 m$ avec la vente d’un Gauguin par un acheteur qatari. Cette échelle est, selon Artprice, « appelée à franchir le milliard de dollars très prochainement ». Des chiffres qui donnent le vertige.

Pour autant le taux d’invendus, qui se situe autour de 34 %, est stable depuis 2000. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de spéculation à proprement parler, car dans ce cas, le taux d’invendus s’effondrerait. Au même titre, une mauvaise santé du Marché de l’Art nous conduirait autour de 50 %.

L’embrasement du Marché de l’Art peut facilement être évalué en considérant l’évolution des ventes aux enchères publiques. En 2014, plus de 640 000 lots Fine Art furent proposés en salles de ventes, enregistrant un total d’adjudication de 15,2 Mrd$. Un marché que se disputent âprement les grandes Maisons de Ventes, et principalement les deux prestigieuses enseignes occidentales : Sotheby’s et Christie’s.

Néanmoins, cette dernière semble chaque année s’imposer un peu plus et prendre l’avantage, parvenant plus facilement que sa rivale à réunir des pièces exceptionnelles. La vente de lundi prochain, 11 mai, pourrait asseoir de façon durable l’hégémonie de la Maison londonienne, tant la session intitulée Looking forward to the past rassemble de trésors fabuleux. Une vente face à laquelle Sotheby’s peut difficilement rivaliser. Des sessions comme celle d’hier, bien que totalisant 368,4 m$ (avec frais), n’enregistrant que 6 invendus sur les 69 lots mis en ventes, restent aujourd’hui dans l’ombre de la vente majestueuse qu’organise sa concurrente.

Encore faut-il que les estimations de Christie’s n’aient pas été surévaluées et que la maison soit capable de vendre autant de chefs-d’oeuvre en quelques heures seulement.

http://fr.artprice.com (c)1987-2015 thierry Ehrmann

Les artistes cités dans cet article :Pablo PICASSOVincent VAN GOGHClaude MONETEdvard MUNCHFrancis BACONAlberto GIACOMETTIJean DUBUFFETAndy WARHOLJean-Michel BASQUIATPeter DOIGUrs FISCHERPaul GAUGUIN