Alighiero Boetti

[23/12/2014]

 

Alighiero Boetti (né le 16 décembre 1940 à Turin, au Piémont et mort le 24 avril 1994 à Rome) se disait peintre, mais il s’est avéré être un incroyable touche à tout, un collectionneur de matériau et d’images.

Sa carrière démarre dans le Turin des années 60, en pleine mouvance de l’Arte Povera, le mouvement italien phare de l’époque . Il participe d’ailleurs à l’exposition collective Arte Povera en septembre 1967 avant de s’éloigner de cette tendance, pour retrouver la rigueur d’une géométrie simple et du dessin sur papier. La configuration alphabétique des mots, les coordonnées invisibles reliant les lettres, les chiffres, les nombres, les codes ou les dates sont autant d’exploration du langage qui trouveront leur matérialisation dans la broderie. L’artiste va passer du crayon au fil après un voyage accompli à Kaboul, Afghanistan, en 1971. Il y découvre alors les traditions ancestrales des tisserands à qui il fait broder sa première Mappa, de ses cartes de géographie désormais célèbres, où sont brodés les drapeaux de chaque pays représentés.

L’oeuvre de Alighiero BOETTI dépend ainsi du travail patient des brodeuses qui exécutent précisément ses motifs (cartes du monde, drapeaux, alphabets, mots, phrases, calligraphies), prenant, parfois quelques libertés dans le choix des couleurs. Certaines broderies peuvent demander plusieurs années de travail. Elles sont, comme l’indiquait l’artiste, « des concentrés de temps » et des oeuvres qu’il faut attendre… ou plutôt « qui arrivent quand elles arrivent » confit-il. Ce sont des oeuvres de temps et des oeuvres d’espace, qui repensent le planisphère et les frontières de l’homme, des espaces bleus scandés de virgules, des cartes aux frontières mouvantes, etc.
La poétique de Boetti est aussi amplement ancrée dans la politique. L’une des oeuvres majeures du Centre Pompidou de Paris par exemple – Tutto – fait partie d’une série brodée à partir du début des années 1980 à Peshawar par des femmes afghanes réfugiées au Pakistan après l’invasion soviétique. Le contexte et le cheminement des artisans (leur histoire) ainsi que le choix de motifs d’après des journaux ou des magazines ancrent absolument l’oeuvre dans l’histoire.

La cohérence et la puissance de l’oeuvre font de Boetti l’un des artistes contemporains les plus appréciés aujourd’hui. Peu d’oeuvres sont ravalées aux enchères (seulement 14%) et ses prix ne cesse d’augmenter depuis 10 ans, tant et si bien que la progression décennale est de l’ordre de 300 %. Les plus belles oeuvres atteignent le million et la hausse des prix s’accélère : parmi ses 19 enchères millionnaires en dollars, pas moins de neuf furent frappées en 2014, dont un record absolu passant pour la première fois le seuil des 3 m$. Le nouveau record fut signé le 16 octobre dernier lors d’une vente de Christie’s à Londres, pour une œuvre de jeunesse : Colonna, une colonne faisant partie d’un ensemble de neuf réalisé en 1968. Colonna consiste en un empilement minutieux de milliers de napperons en papier industriels utilisés pour les pâtisseries. Les rendus de la matière font finalement écho à la forme cannelée d’une véritable colonne antique, un pilier métaphorique du monde ou l’idée de tissage affleure déjà.

Boetti est demandé partout : aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans le reste de l’Europe, Italie, France, Autriche, Allemagne… mais les oeuvres ont de plus en plus tendance à se voir réserver aux places de marché leader et, sur ce point, Londres est plus séduisante que New-York. Le Royaume-Uni dégage en effet plus de 70 % des recettes générées par la vente de ses oeuvres et toutes les enchères millionnaires – toutes sauf une – se signent là-bas. La mainmise de Londres se justifie à la fois par l’accessibilité des collectionneurs européens face à New York et par la rétrospective historique qui fut organisée à la Tate Modern en 2012 : Alighiero Boetti: Game Plan.Parce que l’artiste ne s’est pas entièrement réservé à la monumentalité, certaines oeuvres brodées sont encore accessibles pour moins de 40 000 $. Il s’agit de formats presque carrés de 25 ou 30 centimètres, sortes de prélèvement colorés d’oeuvres plus imposantes, qui parviennent malgré leur petite taille à parler du rythme d’un espace plus grand.

Outre les raisons artistiques et historiques, il est aussi une raison plus pragmatique dans la valorisation grandissante de l’oeuvre de Boetti : les oeuvres brodées étant réalisées à partir des années 70, elles n’ont pas besoin d’une autorisation de sortie du territoire de la part du gouvernement Italien, contrairement aux oeuvres créées il y a plus de 50 ans (dont les oeuvres historiques de l’Arte Povera). Le marché italien est en effet contraint par un système de réglementation dont des lois d’exportation nuisiblent à la bonne santé du marché local. Dans l’attente d’éventuels changements et avant de fêter leurs 50 ans, les oeuvres de Boetti circulent librement sur le marché international.