Le Top des nus

[29/08/2014]

 

Le vendredi, c’est Top ! Un vendredi sur deux, Artprice vous propose un classement d’adjudications par thème. Cette semaine : les dix meilleures enchères pour des nus.

Le Top des nus
Rang Artiste Adjudication Oeuvre Vente
1 Pablo PICASSO 95 000 000$ Nude, Green Leaves and Bust (1932) 04/05/2010 Christie’s NEW YORK NY
2 Alberto GIACOMETTI 92 521 600$ L’homme qui marche I (1960) 03/02/2010 Sotheby’s LONDRES
3 Francis BACON 77 000 000$ Triptych (1976) 14/05/2008 Sotheby’s NEW YORK NY
4 Peter Paul RUBENS 69 714 000$ The Massacre of the Innocents (c.1608-1609) 10/07/2002 Sotheby’s LONDRES
5 Francis BACON 62 043 759$ Portrait of George Dyer Talking (1966) 13/02/2014 Christie’s LONDRES
6 Amedeo MODIGLIANI 61 500 000$ Nu assis sur un divan (la belle romaine) (1917) 02/11/2010 Sotheby’s NEW YORK NY
7 Francis BACON 46 297 350$ Untitled (1974/77) 06/02/2008 Christie’s LONDRES
8 Pablo PICASSO 44 000 000$ Le Rêve (1932) 10/11/1997 Christie’s NEW YORK NY
9 Henri MATISSE 43 500 000$ Nu de dos, 4 état (Back IV) (c.1930) 03/11/2010 Christie’s NEW YORK NY
10 Pablo PICASSO 41 000 000$ Nu au fauteuil noir (1932) 09/11/1999 Christie’s NEW YORK NY

Le nu, sujet à part entière de l’histoire de l’art occidental, thème de plusieurs grandes expositions transversales, n’est pas traité ici en tant que « genre » particulier. Artprice.com a recherché les oeuvres mettant en scène un ou plusieurs corps nus, toutes périodes de création confondues, afin d’en déterminer les 10 oeuvres les plus cotées sur le marché des enchères. Il en ressort une forte domination de l’art moderne et d’après-guerre et une seule œuvre ancienne avec Pierre-Paul Rubens. Ce Top 10, qui révèle deux sculptures, celle de Matisse et de Giacometti, contre huit peintures, propose une petite traversée dans une histoire de l’art où le nu raconte mille autres choses que la nudité.

Le nu, prétexte aux formes à travers deux sculptures

L’homme qui marche I d’Alberto Giacometti : un bronze à hauteur d’homme (183 cm), fondu à six exemplaires s’est vendu 92,5 m$, soit 103,6 m$ frais inclus en 2010. A défaut d’être un artiste du nu, Giacometti traitent ses hommes et ses femmes qui marchent sans apparat, et leur présence se trouve réduite à l’état de silhouette à la fois dynamique et prise dans un effroyable suspend. La nudité est ici moins le sujet que la condition d’accès au dépouillement essentiel. Le nu de Giacometti serait en quelque sorte un « vide de chair », un corps inachevé et rugueux, sur lequel les empreintes de doigts de l’artiste renforce tout à la fois la fragilité et la force de la matière.

Giacometti signe ainsi le nu le plus cher en trois dimensions, face à Matisse dont le traitement du corps se trouve aux antipodes. Le Nu de dos, 4 état (Back IV) s’affiche comme la seconde sculpture au corps nu la plus chère après Giacometti, ainsi que l’oeuvre la plus cotée d’Henri Matisse. Matisse, mieux connu pour ses oeuvres sur toile ou pour ses découpages, a entretenu un amour immense pour la sculpture et pour le nu. Contemporain de Rodin (30 ans les séparent), il partage avec lui le goût des poses non académiques et du modelage. Il choisit donc le plâtre et le bronze pour réaliser 69 pièces, la plupart produites entre 1900 et 1913, puis entre 1923 et 1930. Mais contrairement à Rodin, Matisse ne morcelle pas, il architecture, il met de l’ordre, il synthétise. Le Nu de dos, 4 état fait partie d’une série de quatre reliefs réalisés entre 1909 et 1930, lesquels furent fondus en bronze et exposés comme série en 1956, soit deux ans après la mort de Matisse, pour une exposition rétrospective organisée au Musée national d’art moderne de Paris. L’oeuvre ici classée est issue d’une fonte plus tardive encore, de 1978 (sur 10 exemplaires). Ce nu de dos est inscrit dans un rectangle et évoque plus l’esprit de synthèse de Gauguin que l’influence de Rodin. Solide, massif, dominant de ses 189 centimètres de hauteur, il s’est vendu 43,5 m$ en 2010, soit 48,8 m$ frais inclus.

Modèle ou sujet ?

Dans Triptych 1974-77 de Francis Bacon, la nudité de George Dyer se retrouve au centre d’une composition sur trois panneaux. Il s’agit d’un nu masculin, comme toujours chez Bacon, vu de dos, une « vue des fesses » en somme, entourées par deux faces. Dans ce sujet où la peinture se retrouve mise en abime, le nu de dos « décapité » se retrouve encadré par deux grands portraits. Ce majestueux triptyque est un hommage de Bacon à son amant George Dyer, sujet ici répété cinq fois au rythme des trois toiles. Dyer s’était donné la mort peu avant la réalisation de cette oeuvre. Troisième « Nu » le plus cher du monde et seconde adjudication record de Francis Bacon, le triptyque s’est vendu 77 m$ en mai 2008, soit un prix moyen de 25,6 m$ par panneau. Six ans après cette enchère, une autre mise à nu de George Dyer fait surface : intitulée Portrait of George Dyer Talking, l’oeuvre, de même dimension qu’un panneau de Triptych 1974-77, part alors pour 62 m$, soit un prix en hausse de +142 % par rapport à l’année d’adjudication de Triptych 1974-77. L’attachement à la figure de Georges Dyer à travers la passion et la mythologie personnel de Francis Bacon font donc beau jeu à la cote. Le lien autobiographique et la vie amoureuse des grands artistes ajoutent un supplément d’âme, qui se traduit souvent sur le prix final. C’est aussi le cas pour les oeuvres de Pablo Picasso.

Contrairement à Modigliani, Pablo Picasso peint les femmes qu’il aime et qu’il possède. L’artiste occidental moderne le plus côté revient à trois reprises dans ce Top, avec trois oeuvres réalisées en 1932, année ou sa période néo-classique rencontre la passion calme de Marie-Thérèse Walter, qui fut sa compagne entre 1927 et 1935. Le doux visage de Marie-Thérèse Walter est d’abord le sujet de sculptures (en 1931) avant de gagner les oeuvres sur toiles. A partir de 1932, Picasso la peint à maintes reprises dans des scènes intimes, dont les lignes courbes résonnent comme une célébration romantique et érotique. Au moment de leur rencontre, en 1927, Marie-Thérèse a 17 ans, Picasso 45. L’artiste partage alors sa vie avec la danseuse Olga Khokhlova et sa nouvelle liaison avec Marie-Thérèse sera révélée au grand jour lors d’une exposition organisée à Paris en 1932. Chez Picasso, les passions intimes sont une source inépuisable d’inspiration et ses histoires d’amour ont généralement donné lieu aux oeuvres les plus cotées.

Contrairement à Picasso, Amedeo Modigliani n’exprime pas un sentiment amoureux ou une quête d’individualisation avec le Nu assis sur un divan (la belle romaine). Icône de l’art moderne, Modigliani a produit la majorité de ses nus en 1917 et 1918 ; des corps de femmes, dans une quête du corps féminin universel. La Belle Romaine n’est pas une amie proche du peintre, elle aurait dans ce cas fait l’objet d’un portrait et ne nous dévoilerait ni son sein ni ses cuisses. Cette toile vendue 61,5 m$ en 2010, près de 69 m$ frais inclus est le record d’enchère de l’artiste. Elle fit déjà l’objet d’une vente aux enchères en 1999, année d’une adjudication à 15,250 m$ (soit 16,7 m$ frais inclus, Sotheby’s New York, le 11 novembre 1999). Modigliani est ici le peintre d’une nudité délicate, sensuelle et rêveuse.

Seule œuvre ancienne du classement et seule toile multipliant plusieurs personnages, le Massacre des innocents (c.1608-1609) de Pierre-Paul Rubens est un véritable tourbillon charnel racontant le Massacre enfants juifs à Bethlehem (Evangile selon Saint Matthieu) dans une grande envolée dynamique. Scène de crime où la nudité des mères, des pères et des enfants jouxtent celles des assassins, où les corps morts jouxtent ceux des vivants. Rubens, qualifié de « peintre de la chair nue » aime le nu ample et la peau éclatante. Vendu 69,7 m$, soit 76,6 m$ frais inclus, le tableau devenait en 2002 l’oeuvre ancienne la plus chère jamais vendue aux enchères.