Focus sur Hans Bellmer

[19/08/2014]

 

A l’heure ou Hitler arrive au pouvoir, l’artiste allemand Hans BELLMER (né le 13 mars 1902 à Kattowitz, Empire fédéral allemand, et mort le 23 février 1975 à Paris) s’engage dans un processus subversif allant à l’encontre du mythe de perfection anatomique prôné par le IIIème Reich. Il démembre le corps de sa Poupée et le recompose en des combinaisons incongrues qui éveillent le sentiment d’Inquiétante étrangeté découvert à la lecture de Freud.

En 1924, les artistes surréalistes s’ouvraient au pouvoir de l’inconscient à l’œuvre. Il n’est donc pas étonnant que la découverte d’Hans Bellmer est agit sur eux comme un électrochoc. Celui-ci désamorçait une vision classique de l’anatomie humaine en y projetant une mécanique du désir au grès de son imaginaire. En 1933, Hans Bellmer construit une poupée : un être artificiel en bois et papier mâché à l’anatomie combinatoire, « aux multiples possibilités anatomiques ». Un être irréel à la fois infantin et moteur de perversions. Bellmer n’expose pas ses poupées en tant que telles de son vivant, celles ci sont la matrice des jeux formels pour ses peintures, dessins, gravures ou photographies. Acclamé et adopté par les surréalistes après une visite rendue à Paul Eluard en 1935, Bellmer s’installe définitivement à Paris en 1938 après la mort de sa femme, pour y poursuivre ses recherches, exerçant alors le métier de dessinateur et graveur.

Artiste phare de la scène surréaliste, Bellmer affiche un indice de prix à l’abri des montagnes russes et sa cote profite naturellement de la hausse générale. Sa cote affiche une hausse de +235 % depuis 2000. Malgré cette progression, force est de constater que l’artiste est loin d’être surcoté en regard de son importance dans l’histoire de l’art du XXème siècle. Les collectionneurs s’en rendent bien compte et le marché assiste à quelques ajustements de cote depuis deux ans. Le 3 juin 2014 par exemple, Art Curial adjugeait à Paris La Toupie, sculpture en bronze peint éditée sur 8 exemplaires pour 190 000 €, soit 258 000 $, doublant allègrement l’estimation haute et signant là le record de l’artiste en matière de sculpture. Bellmer est particulièrement rare en trois dimensions. Seules 23 sculptures ont été soumises au jeu des enchères ces vingt dernières années. Le coeur du marché est constitué de ses gravures, qui font de lui un artiste souvent abordable pour moins de 400 $ aux enchères (la moitié des transactions se jouent sous ce seuil).

Ses gravures représentent 73 % des œuvres en circulation sur le marché et s’échangent entre 100 et 700 $ en moyenne selon les dimensions, le nombre de tirages et, bien sûr, la qualité du dessin. Les amateurs recherchent en priorité des multiples aux accents érotiques. Quelques rares feuilles érotiques se paient désormais plusieurs milliers de dollars, comme l’épreuve d’artiste intitulée Erotische Kaltnadelradierungen, un travail à la pointe sèche sur papier Japon, cédé 3 000 euros, soit 4 140 $ le 26 novembre 2013 à Berlin (chez Hauff & Auvermann). Ou encore comme la superbe héliogravure Paradis Artificiel de 1949, cédée 5 000 euros, contre une estimation haute de 2 000 euros (adjugée l’équivalent de 6 578 $, Cornette de Saint Cyr, Paris, le 6 février 2012). Par ailleurs, il s’avère intéressant historiquement d’acquérir des papiers (gravures ou dessins) datés de 1939-40, époque à laquelle l’artiste est enfermé aux Camp des Milles dans le sud de la France avec Max Ernst. Les productions de cette période s’éloignent des préoccupations anatomiques de la poupée et mettent en œuvre, de façon quasi obsessionnelle, des murs de briques, souvenir de la vocation première du camp qui était une tuilerie-briquerie.

Les oeuvres originales, dessins et peintures, ne sont pas très abondantes et le marché offre des possibilités d’achats récurrentes de dessins au crayon pour moins de 5 000 $… soit le prix d’une très belle estampe. Quelques feuilles très abouties s’envolent néanmoins à plus de 50 000 $ et deux dessins rehaussés d’aquarelle ont passé le seuil des 100 000 $.

Les amateurs affichent une nette préférence pour les jeux défendus en photographie (parfois colorées de couleurs vives ou pastels), depuis une certaine vente de Calmels-Cohens à Paris en avril 2003, où trois clichés s’envolaient pour la première fois à plus de 100 000 $. Calmels-Cohens orchestrait alors la dispersion de la collection André Breton et les photos de la poupée d’Hans Bellmer triplaient voire quadruplaient leurs estimations. Précisons que la provenance Breton donnait une aura toute particulière aux oeuvres présentées et que celles de Bellmer bénéficièrent de l’engouement général. Néanmoins, les records établis en 2003 ont été battu à deux reprises depuis, à New York, établissant un nouveau record d’enchère à 310 000 $, avec un cliché jouxtant un autoportrait fantomatique à la Poupée transformée (Self-Portrait with Die Puppe, Sotheby’s New York, 3 octobre 2012).

Avec un sommet de 310 000 $, Bellmer reste loin derrière l’autre chantre de la photographie surréaliste Man Ray, qui atteignait le million de dollars en 2013 pour un Rayograph de 1922.