Focus sur James Ensor

[04/04/2017]

Après une initiation à l’académie d’art de sa ville natale, Ensor se forme à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles de 1877 à 1880, puis il revient à Ostende où il passera presque toute sa vie. Dans la ville provinciale où il vit auprès de sa famille, les habitants ne sont pas préparés à recevoir un génie si audacieux et si précoce qu’à 20 ans sa peinture est déjà mature, déjà à l’avant-garde… Les premières œuvres sont mal reçues ici comme ailleurs. Sa candidature est refusée aux salons d’Anvers et Bruxelles. Il participe alors à la fondation du Groupe des XX en 1884, un cercle d’avant-garde sensible à Gauguin, Van Gogh, Seurat et Cézanne. Il n’a que vingt-huit ans lorsque les prémices de la célébrité arrivent, grâce à une oeuvre considérée comme la plus importante de sa carrière : L’entrée du Christ à Bruxelles, immense toile (2,5 x 4,3m) conservée au musée Getty de Los Angeles dans laquelle l’artiste exalte les couleurs et met en jeu les masques. Résolument moderne et conscient de l’être, Ensor envoie plusieurs œuvres au Salon d’Automne de Paris en 1907. L’accueil n’est pas à la hauteur de ses espoirs ni de ses ambitions… Face à une critique septique, il prend lui-même la défense de son talent, rappelant à qui veut l’entendre qu’il s’est affranchi de la vision des années avant Vuillard et Van Gogh. L’ « apôtre d’une langue nouvelle », comme il se qualifie lui-même, recevra un meilleur accueil à Anvers et à Rotterdam où sont organisées des rétrospectives de ses œuvres dans les années 1910. Les musées royaux de Belgique commencent à lui acheter des toiles et, après la Première Guerre mondiale, des mécènes parviennent à créer une salle Ensor au musée d’Anvers, aujourd’hui riche d’une quarantaine de ses oeuvres. Mais la consécration absolue arrive plus tardivement encore, lorsqu’il obtient la nationalité belge et se voit anobli en 1929. Le Baron Ensor connait alors la gloire, Sacré « Prince des peintres », il assiste à sa grande rétrospective aux Beaux-arts de Bruxelles et finit sa vie couvert d’honneurs. Bien qu’il n’ait pas formé d’élève, ni codifié son art, Ensor eut une immense influence sur les peintres belges. L’avant-garde Allemande lui doit aussi beaucoup. Les artistes de Die Brucke ont perçu chez lui la résonance expressionniste et instinctive qu’ils cherchaient. Intrigué par le personnage et sa peinture si libre, Emil Nolde lui rendit d’ailleurs visite en 1911. Aujourd’hui, son héritage est toujours palpable. Son œuvre fut récemment revivifié par une exposition à Londres sous le commissariat d’un autre artiste Belge célèbre, Luc Tuymans. L’exposition “Intrigue: James Ensor by Luc Tuymans”, à la Royal Academy (29 octobre 2016-29 janvier 2017) s’est construite autour d’un prêt conséquent du musée des Beaux-arts d’Anvers, principal détenteur des œuvres de l’artiste, actuellement en rénovation. Une exposition puissante venue réanimer l’originalité de son apport dans l’histoire de l’art au moment même où une agitation sans précédent se faisant sentir côté enchères…

Après le ricanements vinrent les honneurs. Ensor fut finalement couvert d’or de son vivant et ses œuvres sont encore aujourd’hui parmi les plus recherchées et des plus chères du marché occidental. Le premier événement majeur dans l’explosion de ses prix advenait dans le contexte particulier de la dispersion Yves Saint Laurent & Pierre Bergé, organisée en 2009 dans le cadre prestigieux du Grand Palais de Paris. L’oeuvre offerte, Le désespoir de Pierrot, doublait presque son estimation haute pour partir à 6,4m$… un record impressionnant à l’époque, car positionné 5 millions au-dessus de son précédent sommet. Ce record aurait pu demeurer un épiphénomène lié à une provenance prestigieuse, mais il n’en fut rien. Six ans plus tard, Les Poissardes Mélancoliques, une toile de 1892 partait pour 6,97m$ puis, le 7 décembre 2016, Sotheby’s Paris vendait mieux encore Squelette arrêtant masques, restée pendant près d’un siècle dans la famille Serruys. La société de ventes soulignait “l’extraordinaire fraîcheur des couleurs, le sujet iconique mettant en scène les figures emblématiques de l’art d’Ensor et la composition d’une modernité inouïe”, de cette toile peinte à Ostende en 1891 pendant la période la plus féconde de l’artiste, c’est à dire pendant l’époque des Masques. Récemment redécouverte, cette peinture à l’huile de 30 centimètres sur 50 s’est envolée pour 7,82 m$, établissant un nouveau record mondial. Pour prendre la mesure de son record, son importance, il convient de préciser qu’il s’agit de la meilleure adjudication de 2016 établie pour une œuvre d’art en France (hors antiquités et œuvres anonymes). L’oeuvre était il est vrai exceptionnelle… Par ailleurs, tout ne flambe pas sous la signature de Ensor, et certaines œuvres se retrouvent même moins chères que celles de jeunes artistes encore inconnus. A titre d’exemple, citons la vente récente à Anvers d’un dessin original vendu 2 200 € (équivalent à 2 320 $, chez Amberes Veilingen le 12 décembre 2016) ou encore un croquis acquis pour 550 € seulement en novembre dernier à Bruxelles (Petite feuille d’esquisse : objets posés sur une cheminée, The Romantic Agony, le 25 novembre). Bien sûr, les feuilles importantes et colorées s’envolent parfois à plusieurs dizaines de milliers d’euros, mais le marché est suffisamment diversifié et vivant pour faire de Ensor l’une des signatures phares d’une collection, quelque soient les moyens des collectionneurs…